Je vous invite tous a prendre un instant pour lire ce qui suit avec attention...

"La question mérite d'être posée:
Combien de temps allons nous encore accepter cet état de fait et le mépris ahurissant de la profession à notre égard dans le domaine des effets visuels et du Motion design ?
Hier soir, durant la cérémonie des Oscars, Life for Pi du réalisateur Ang Lee a reçu la récompense de meilleur film, meilleure photo et meilleurs effets visuels. La société Rhythm and Hues, qui est responsable en grande partie de cette prouesse visuelle est au bord de la faillite.
1400 Artistes sur le carreau.
Lorsque son propriétaire a tenté de mettre en lumière les difficultés de notre profession, l'académie des Oscars n'a pas jugée mieux que de lui couper le micro et de balancer à fond les ballons la musique des dents de la mer pour les faire déguerpir de scène.
Les métiers des effets visuels sont des métiers de vocation. Ils animent au quotidien des amoureux de l'image, de véritables artistes souvent diplômés d'écoles d'art, cultivés, dessinateurs, peintres ou photographes avant d'être d'excellents techniciens de l'image. Certains d'entre eux sont même réalisateurs, et parfois bien plus talentueux que ceux pour lesquels ils travaillent. Ils ont un sens aigu de l'image et de la narration au service de l'histoire.
Ils ont le sens du détail, s'attachent à rendre un plan cohérent et crédible lorsque les méthodes traditionnelles de tournage ne permettent pas de réaliser le plan en "vrai".
Seulement voilà, l'explosion des outils numériques et leur démocratisation ont désacralisé notre métier au point que dans l'esprit de trop nombreuses personnes, mais surtout des majors et producteurs, plus rien ne justifie de payer correctement ce service. Bah oui, fabriquer des effets visuels c'est facile. On bidouille dans le logiciel, on pousse les boutons et hop ! On a "Transformers".
Il serait grand temps que la profession et le public prennent conscience que des armées d'artistes suent sang et eau pour que ces images prennent vie. Sans qu'ils soient d'ailleurs tous crédités au générique...
Rien n'est impossible, oui c'est vrai.
Mais c'est au prix d'un travail acharné qui souvent ruine la vie personnelle de ces artistes qui sont au top de la pyramide créative.
Nous souffrons aujourd'hui d'un manque cruel de reconnaissance, tant moralement que financièrement. Plus personne aujourd'hui ne veut payer correctement la fabrication d'une image, au prétexte que c'est simple. Mais les métiers des effets visuels ne se comparent pas a des filtres Instagram.
C'est évidemment absolument faux.
L'évolution des technologies de l'image a évidemment facilité notre travail, mais la demande est devenue grandissante, et l'exigence s'est décuplée. Les images qui nous font rêver sont le fruit d'une imagination folle et d'un travail acharné, doublé d'une veille culturelle et d'un apprentissage technique permanent.
Nous ne sommes pas des pousse boutons. Nous sommes des conteurs, au même titre que les scénaristes, réalisateurs, chef opérateurs, compositeurs.
Certains films aujourd'hui ne sont qu'une surenchère visuelle dénuée de scénario, et même de mise en scène. Nous sommes devenus la trousse de survie de studios et réalisateurs flemmards qui, en plus de ne plus faire leur métier, nous demandent de le faire a leur place.
"On verra ça en post-production" nous dit on en permanence.
S'ajoute à cela des délais de plus en plus serrés à des coûts absolument intenables.
La concurrence est telle, et le degré d'exigence si élevé, que les studios sont prêts à tout, qui à travailler à perte pour pouvoir continuer à travailler.
Cette situation nous mène a notre perte, comme dans autant d'autres domaines de l'économie.
Les majors, chaine de télévision, producteurs, abusent en permanence de cette situation, au mépris du travail, des histoires, et surtout des individus.
Nous réglons les problèmes de mise en scène, les carences de certains tournages foutraques. C'est du temps que nous ne passons pas à réellement CRÉER les effets nécessaires à l'histoire, et ce pourquoi nous sommes engagés.
Dans le cas de Life Of Pi, l'image est tellement manipulée qu'on peut se demander à quel point Ang Lee est l'unique auteur du film.
A quel point les créateurs des effets visuels du film ne sont-ils pas également co-auteurs du film ?
Dans le long débat sur le droit d'auteur, on est en droit de se demander si à une telle échelle il ne serait pas temps de poser cette question, si essentielle sur la paternité de l'œuvre. Pourquoi cette question ? Tout simplement parce que notre profession mérite aujourd'hui cette reconnaissance légitime, et que la question devrait se poser clairement en ces termes. Elle ne se poserait pas si la profession entière reconnaissait enfin notre statut, et la teneur indispensable de notre travail. Nous ne sommes pas des ouvriers, juste des artistes passionnés déconsidérés en permanence.
Hier soir, Ang Lee, réalisateur pourtant de grand talent, s'est discrédité et surtout, a usurpé cette victoire en ne citant pas le talent inouï de l'équipe des effets visuels.
Ce film n'existerait pas sans eux.
Il est grand temps de mettre fin à cet état de fait qui mine notre métier et notre amour des images.
Alors je pose cette dernière question:
Que se passerait-il si demain, oui demain, ou à une date que nous déciderions tous, nous, graphistes, superviseurs d'effets visuels, motion designers, animateurs traditionnels ou 3D, monteurs image, compositeurs, étalonneurs, modeleurs, texture artistes, lighters 3D, cracking et rotoscope artistes, stéréographes, R&D,,...bref, TOUS LES METIERS DE LA POST-PROD IMAGE, nous décidions TOUS de nous arrêter de travailler 15 jours ?
Imaginez un plateau de tournage de type Life Of Pi sans superviseur, imaginez tous ces studios d'effets visuels ou de graphisme vides avec les productions en cours, pas de design de génériques de films ou TV, plus d'habillage, plus de films d'animation, plus personne dans les régies de montage... Et si les graphistes Print et Web nous rejoignaient, parce leur sort n'est pas bien mieux que le nôtre...? Il se passerait quoi ?
Et bien ça serait la merde.
Et surtout des écrans noirs, de la TV au web, jusqu'aux tablettes tactiles et les terminaux mobiles."